samedi 27 décembre 2008

[21septembre] "J’ai tant navigué, nuit et jour, sur la barque de ton amour..."

Journal d'un "clandestin"

Zaher Rezaï, rêves et espoirs en forme de poésie.

GRISOT Francesca

Zaher Rezaï, 13 ans, soudeur, né à Mazar-el Sharif (Afghanistan), mort à
Venise samedi, écrasé par le camion sous lequel il s'était accroché pour
entrer en Italie.

Fragments de son carnet de voyage :

"J'ai tant navigué, nuit et jour, sur la barque de ton amour..."

Zaher Rezai, fils de Mahmud, était un Hazara de Mazar-el Sharif, la ville
qui, en 1998, fût le théâtre d'un des nombreux massacre de civils Hazaras
que nous rappelle l'Afghanistan. Zaher était tout petit et l'un de ceux
qui avaient eu la chance de survivre. Quelques années plus tard, encore
enfant, Zaher était en Iran. Il travaillait comme soudeur, en notant
soigneusement esquisses et mesures sur son carnet. Le profil qui émerge de
la lecture et traduction de son carnet de « clandestin » est le suivant :
un garçon fuyant la persécution, obligé de travailler très jeune comme
soudeur, qui se jette à contre cœur dans un voyage d'espoir dont il sait
bien qu'il est plein d'embûches.

L'histoire de Zaher peut être reprise comme icône du migrant afghan, le
plus souvent mineur, si ce n'est à l'arrivée, au départ sûrement. En tout
cas potentiel demandeur d'asile. Le cas des migrants afghans, très jeunes
le plus souvent, est l'histoire d'une diaspora silencieuse. Etant donné
son nombre réduit, elle n'a pas d'écho dans les journaux, mais révèle un
malaise social lié non seulement à la guerre ou à l'occupation du pays,
mais aussi à un féroce conflit ethnique et religieux dont on ne parle pas
en Occident. Et s'y ajoute la condition prolongée de diaspora et d'exil,
qui en est désormais à la troisième génération, et, des décennies durant,
a contraint des familles entières à migrer sans répit à travers des pays
frontaliers peu hospitaliers (Pakistan et Iran) et dans des zones
intérieures de l'Afghanistan.

A cette diaspora silencieuse Zaher va finalement donner une voix : une
voix très douce. Dans les vers de ses poésies, il cherche le courage de
continuer, au-delà des mers, là où il croit que son droit d'exister est
garanti. Le carnet qu'on a trouvé dans sa poche contenait en quelques
pages la résumé de sa vie : quelques esquisses talentueuses, rapportées
avec des mesures détaillées, du travail de soudeur qu'il faisait en Iran ;
une note sur les économies grappillées et quelques poésies, inscrites ou
apprises peut-être le long du trajet. La calligraphie du garçon indique un
degré d'instruction très bas et nous confirme que, comme nombre de ses
concitoyens, Zaher n'a pas eu la possibilité de fréquenter l'école. Et
pourtant, difficile à croire pour nous Italiens, il connaissait par cœur
et récitait en lui-même un certain nombre de vers en rimes. Poésies
classiques, poésies très souvent anciennes, de plusieurs siècles, qui
parlent d'amour et de nostalgie ; où l'aimé est Dieu et l'amour mystique
le désir de le retrouver dans la splendeur et la pureté de la prééternité.

Tu portes le parfum des gemmes qui éclosent,
Tu es comme une fleur du printemps…
Et douce ton affection
J'aime parler avec toi…
Tu es un ami enchanteur
Tu es soif de passion et beauté


J'aime souligner cela parce que l'amour de la poésie de ces jeunes
migrants afghans est le premier indice de la sensibilité, de la dignité et
du respect dans lesquels ils sont éduqués dès leur plus jeune âge. Quand
on parle avec eux, trop souvent émergent la souffrance de la
discrimination, la détermination avec laquelle ils luttent pour voir
reconnaître leur droit d'exister tout simplement en tant que « personnes
humaines ». Leur rêve européen est l' « Europe des droits de l'homme ».
Rêve auquel ils n'ont pas l'intention de renoncer. Inutile de les renvoyer
; ils essaieront à nouveau, jusqu'à la mort s'il le faut.

J'ai tant navigué, nuit et jour, sur la barque de ton amour
Qu'à la fin ou à t'aimer j'arriverai ou noyé je mourrai.


Continuer. A tout prix : « En Iran, on ne peut pas rester, en Afghanistan
on ne peut pas retourner », répètent de façon obsessive les jeunes
interviewés. La poésie continue. Elle raconte la peur du rejet ; d'être
traité comme un migrant quelconque ou, pire, comme un voleur ou un
clandestin.

Jardinier, ouvre la porte du jardin,
Je ne suis pas un voleur de fleurs,
Je me suis fait rose moi-même,
Car j'ai besoin d'une autre fleur


La peur du voyage. Le bras de mer qui le sépare encore du droit d'asile.

Ce corps si assoiffé et fatigué
Peut-être n'arrivera jusqu'à l'eau de la mer.
Je ne sais encore quel rêve le destin me réservera,
Mais promets-moi, Dieu,
Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.


On est au seuil de l'hiver. Dans les limbes de Patras, Zaher s'embarque
sur un navire qui part pour l'Italie. La mer, la dernière traversée.

Oh mon Dieu, que de douleur réserve l'instant de l'attente,
Mais promets moi, Dieu,
Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.


Dans mon expérience de médiatrice, c'est chose banale que les jeunes
afghans, mêmes analphabètes, gardent en mémoire des vers de poésie et les
répètent souvent pour se donner du courage pendant leur voyage et
l'expérience de la diaspora. Ce que j'ai le plus souvent entendu parle de
la douleur de la mort en exil. Je voudrais le dédier pour conclure à
Zaher, en rappelant que malheureusement c'est cette obsession qu'on lit
dans les yeux des migrants afghans avec qui je vis et travaille.

Si un jour d'exil la mort décide de reprendre mon corps
Qui s'occupera de ma sépulture, qui pourra coudre mon suaire ?
Que mon cercueil soit déposé sur une hauteur
Pour que le vent rende à ma Patrie mon parfum


Fragments

« J'ai tant navigué… »

Recueillis par Hamed Mohamad Karim et Francesca Grisot.

Merci à Domenico Ingenito pour son aide à la traduction

Feuillet 9

Tu portes le parfum des gemmes qui éclosent
Tu es comme une fleur de printemps
Je me fais pour toi ivre et heureux
Quand tu viens me chercher…
Ton affection est douce
J'aime parler avec toi

Feuillet 8

Et même quand tu m'ôtes la parole
Ton repentir est beau
Tu es un ami enchanteur
Tu es soif de passion et beauté
Voyons à présent jusques à quand
Tu t'accorderas à mon cœur


Feuillet 11

Ce corps si assoiffé et fatigué
Peut-être n'arrivera jusqu'à l'eau de la mer.
Je ne sais encore quel rêve le destin me réservera,
Mais promets-moi, Dieu,
Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.
Oh mon Dieu, que de douleur réserve l'instant de l'attente,
Mais promets moi, Dieu,
Que tu ne laisseras point que finisse le printemps.


Feuillet 13

J'ai tant navigué, nuit et jour,
Sur la barque de ton amour,
Qu'à la fin ou à t'aimer j'arriverai
Ou noyé je mourrai.
Jardinier, ouvre la porte du jardin,
Je ne suis pas un voleur de fleurs,
Je me suis fait rose moi-même,
Je ne vais pas en quête d'une fleur quelconque.



Edition de dimanche 21 décembre 2008 de il manifesto

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