vendredi 22 janvier 2010

[21septembre] La grande arnaque politique au sujet des sans papiers : retour sur les “instructions”

La grande arnaque politique au sujet des sans papiers : retour sur les "instructions"

Ce qu'il s'est passé hier
 
1. Le 18 mars 2008, suite à l'aboutissement laborieux d'une formation gouvernementale fedérale, cette dernière fixe dans l'accord de gouvernement  la sortie d'une circulaire ministérielle qui éclaircirait les critères de régularisations pris en compte par l'office des étrangers. Cette démarche était revendiquée depuis longtemps par les associations, organisations et sans papiers, qui critiquent le pouvoir arbitraire de l'office dans l'octroi des cartes de séjour.
 
2. Un an plus tard, cette circulaire n'est toujours pas écrite. Une ébauche a été élaborée par le ministère de l'asile et de l'immigration, sur base d'un système de point, est tout de suite décortiqué et critiqué par des avocats[1]. Des mouvements sociaux apparaissent et tendent à se radicaliser lorsque commencent les occupations des universités et hautes écoles belges, créant un lien avec le milieu étudiant (une dizaine d'établissements comprenant les plus grandes universités : KUL, ULB, UCL). Plus que cela, c'est l'ensemble de la société civile qui se mobilise sur la question, tous les syndicats, les recteurs d'université, les communautés religieuses mais aussi les ordres des barreaux belges (francophone et néerlandophone)[2]. Tous critiquent le pouvoir discrétionnaire et réclament l'application d'une loi.
 
3. L'inactivité politique concernant cette circulaire mène à une radicalisation des actions, les occupations tendant à se transformer en grèves de la faim.
 
4. La ministre de l'asile et de l'immigration, Annemie Turtleboom annonce finalement une « mini-circulaire » procédant à la régularisation de familles avec enfants scolarisés (environ 1500 dossiers), conditionnée de ne pas faire appel à la moindre aide sociale.  Cette condition n'est pas légale (et ne sera pas appliquée), mais sa mention est révélatrice de la prise de position. Déçus, les sans papiers continuent à entamer des grèves de la faim.
 
5. Annemie Turtleboom annonce une nouvelle circulaire, non pas liée aux procédures de régularisation, mais à celles d'identification, dans le but de faciliter l'identification des personnes en séjour illégal et leur expulsion. Cette circulaire prévoit des récoltes de données passant par des méthodes telles que des enquêtes de voisinage par les forces de police. Cette circulaire a été vivement critiquée par de nombreux avocats, la Ligue des Droits de l'Homme, des associations et organisations et quelques parlementaires[3]. La ministre affirme cependant qu'elle pourra faire appliquer l'accord après les élections régionales[4].
 
6. Les élections passées, la ministre revient sur ses dires pour annoncer qu'elle ne débloquera pas la situation[5]. Le gouvernement fédéral est transformé pour faire face à cette problématique. L'asile et l'immigration reviennent à Melchior Wathelet, (CDH, parti catholique de centre gauche, d'après une étude de l'ULB[6]), et Annemie Turtleboom  (parti libéral flamand) est « promue » au ministère de l'intérieur.
 
7. Melchior Wathelet annonce des critères clairs temporaires pour débloquer la situation. Ils sont fixés dans le temps : les sans papiers peuvent introduire leur dossier du 15 septembre au 15 décembre 2009. Ces dossiers seront fixés au cas par cas mais sur base des critères défini lors des « instructions ». Il ne s'agit donc pas d'une circulaire. Le terme « instructions » ne renvoie à aucune valeur formelle dans la juridiction belge[7].
 
8. Pendant ce temps, Annemie Turtleboom annonce 2 circulaires : l'une dans la lutte contre les domiciliations fictives (la domiciliation est la clé de toutes les procédures administratives en Belgique, y compris celles de régularisations), l'autre  concernant la prévention de la « radicalisation » politique et religieuse[8]. D'une part, lutter contre les domiciliations fictives signifient de lutter contre des personnes déjà en état de précarité. D'autre part, le manque de définition du terme « radicalisation » peut être inquiétant (les occupations d'universités et les actions des comités de soutien sont-elles une forme de radicalisation ?)
 
Ce qu'il se passe aujourd'hui
 
9. Une plainte a été introduite par le Vlaams Belang au conseil d'état, prétendant que la fixation de critères n'est pas une compétence du Ministère mais du Parlement. C'est entièrement vrai, et c'est le jugement qu'a rendu le Conseil d'état. L'application de ses critères sont donc techniquement irrecevables d'un point de vue juridique et doivent faire l'objet d'une loi[9].
10. Le ministre Melchior Wathelet répond à cela que les critères seront pris en compte dans le cadre du traitement individuel des dossiers, en exerçant son « pouvoir discétionnaire », la possibilité arbitraire, prévue par la loi, pour le ministre d'avoir le dernier mot sur un dossier individuel.
 
Conclusions : où est l'arnaque ?
 
La réponse finale de Wathelet mène l'histoire de cette procédure à une conclusion absurde. Le pouvoir discrétionnaire et la dimension arbitraire liée à l'office des étrangers sont précisément les objets des critiques des mouvements sociaux qui ont menés à l'accord gouvernemental du 18 mars 2008 et qui ont suivi cet accord. La réponse politique actuelle correspond à l'exact opposé de ce qui était originellement revendiqué. La notion d'arbitraire institutionnalisée est devenue le seul argument rendant possible l'application des instructions décidées par le gouvernement. Il a créé une catégorie de sans papiers qui peut s'attacher à un espoir de régularisation, et fait dépendre cet espoir de cette notion d'arbitraire.
 
Au final, la réponse du gouvernement est un échec : non seulement les critères n'existent pas (ils viennent d'expirer), mais leur application temporairement institutionnalisée dépend de ce contre quoi les sans papiers et la société civile se battent.
 
Il ne s'agit donc pas de conclure que c'est une victoire de l'extrême-droite ou un tour de magicien du ministère de l'asile de l'immigration. La majorité élue au gouvernement a bel et bien, au final, échoué à faire appliquer ce qu'elle avait prévu dans son accord.
 
Le débat essentiel sur l'état de droit a donc totalement été décentré, et la situation actuelle participe à un retournement idéologique où le pouvoir discrétionnaire, objet de la critique, devient la solution à la crise qu'il a lui même engendrée. Il s'agit bien de garder à l'esprit le véritable enjeu de cet événement  et de le critiquer: la remise en question fondamentale du fonctionnement de l'état de droit où l'exécutif devrait appliquer le législatif.


[1] "Lalibre.be – Dépités par la circulaire Turtelboom", http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/424262/depites-par-la-circulaire-turtelboom.html, consulté le 15/12/09
[2] "Sans-papiers : L'état belge cité en justice -lesoir.be", http://www.lesoir.be/actualite/belgique/mobilisation-generale-pour-2009-03-18-696413.shtml, consulté le 05/01/2010
[3] "Big brother contre les sans papiers : le turbo ! – Zoé Genot", http://www.zoegenot.be/Big-brother-contre-les-sans.html,  et "Circulaire relative à l'identification d'étrangers en séjour irrégulier: un recours devant le Conseil d'État", http://www.cire.irisnet.be/ressources/presse/2009-08-12.html, consultés le 15/12/09
[5] "Sans papiers : la ministre Turtelboom ne bougera pas – lesoir.be", http://www.lesoir.be/actualite/belgique/sans-papiers-la-ministre-2009-06-12-711933.shtml, consulté le
[6] Delwit and van Haute. Le vote des Belges (Bruxelles – Wallonie, 10 juin 2007), Bruxelles, Editions de l'université de Bruxelles, Science politique, 2008.
[8] "Lalibre.be – Rendre les fraudes à l'adresse fictive impossibles", http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/544428/rendre-les-fraudes-a-l-adresse-fictive-impossibles.html,  et "Lalibre.be – Turtelboom veut prévenir la radicalisation", http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/547774/turtelboom-veut-prevenir-la-radicalisation.html, consulté le 15/12/09
[9] "Lalibre.be – Le Conseil d'Etat annule l'instruction", http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/548771/le-conseil-d-etat-annule-l-instruction.html, consulté le 15/12/09


 
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